dimanche 14 octobre 2012

Jack Maggs - Peter Carey





"Français, il se nommerait Jean Valjean, Edmond Dantès, Chéri-Bibi. Anglais, son nom sera Jack Maggs. C'est le bagnard immortel, mythique et merveilleux tel que la littérature d'évasion nous apprend à l'aimer dès l'adolescence, chez Hugo, Dumas ou Gaston Leroux. Fier, mystérieux, susceptible, le coeur sur la main et le poignard dans l'autre, en cas de coups durs; et il y en aura, roman-feuilleton oblige. 
Jack le balafré, on le croyait relégué pour toujours dans les boues argileuses d'un infâme pénitencier australien. Alors, que cache son retour en secret, à Londres, en 1837? Plus étrange encore: ce n'est pas vers Whitechapel, où sévit un autre Jack, moins sympathique, que le portent ses pas, mais du côté du très chic Kensington. Engagé comme valet de chambre par un commerçant féru de spiritisme, Maggs le proscrit s'intéresse beaucoup au dandy sodomite de la maison voisine. Et s'il était ce fils que Jack négligea dans sa jeunesse aventureuse, initiée au cambriolage par des Thénardier du London Bridge? 
L'amitié d'un collègue domestique et d'une fille de cuisine contribuera à dénouer l'affaire: se faire accepter de l'adolescent et résister à l'écrivain Oates, qui cherche à lui dérober sa propre histoire. Peter Carey, lui, en profite pour revisiter tout un pan de la littérature victorienne. Cet Australien surdoué de 56 ans fait en effet subir, depuis l'admirable Oscar et Lucinda (10/18), un traitement de choc aux géants des lettres saxonnes: il s'offre un véritable ravalement de la façade et des intérieurs d'une tradition sublime, grâce à une écriture moderne et ludique, généreuse, narquoise, sidérante d'intelligence. Sur les brouillards de Turner, les bas-fonds mélos d'Oliver Twist, les coups de théâtre à la Conan Doyle, les attendrissements d'une George Eliot court le regard incisif et affectueux d'un auteur qui, ayant lu tous les livres, multiplie à l'infini les points de vue, les arrêts sur image. Néoclassique, ce mille-feuille malin et féerique? Assurément. Nous sommes chez Dickens, mais filmé par Jane Campion. "

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